Les futurs ingénieurs et scientifiques français viendront des quartiers populaires

Publié le par Hélène GEOFFROY

 

Le constat est désormais établi. Les étudiants français éprouvent un désamour pour la chose scientifique. Faut-il y voir comme le dit le physicien Etienne Klein, un désamour du progrès. Les fêtes de la science et autres initiatives Ebulliscience, la Main à la Pâte initiés par les prix Nobel n’y font rien. Alors que nous avions la conviction du progrès qui sauve, la technique qui transforme notre vie de façon accéléré a du mal à trouver les faiseurs.

 

Alors que j'étais présente aux Oufs d'Astro, fête de l'Astronomie et de l'Espace au Planetarium de Vaulx-en-Velin, je faisais part d'une forte conviction, celle que les futurs ingénieurs et scientifiques français viendront de nos banlieues.

 

Les deux dernières décennies ont célébré la société de services, la société qui achète et qui vend et non pas celle qui produit. Ma génération, j’ai 40 ans, déjà ne vibrait qu’à travers les écoles de commerce ou les filières d’ingénieur amenant vers les écoles de commerce et la finance. Mon choix d’un doctorat et de devenir chercheur suscitait l’admiration pour la prouesse intellectuelle mais non plus l’envie.

Or, la crise économique et financière mondiale nous a réveillés. L'économie irréelle illustrée par ces fameux subprimes a montré qu'elle n'était pas durable. Désormais il semble fortement souhaitable de redonner toute sa place à une économie de la production en Europe. Il nous faut produire, il nous faut innover, il nous faut réindustrialiser notre pays et pour cela il nous faut former des ingénieurs, ceux qui innovent, qui inventent, qui transforment.

Les médias se font l'écho d'un mouvement de relocalisation sur le sol national d'activités antérieurement délocalisées par des entreprises françaises, qui affecterait surtout les petites et moyennes entreprises (PME). Il est encore trop tôt pour dire si ce mouvement constitue une véritable vague de fond.

 

Ainsi, les laboratoires et les usines auront besoin en France d'ingénieurs et de scientifiques pour prendre la relève de la génération du baby-boom, elle même venue des milieux modestes ou de l’étranger et qui est proche de la retraite aujourd’hui.

Il est clair que les enfants de la classe moyenne aisée même lorsqu’ils font des écoles d’ingénieurs privilégient la branche finance des grandes écoles d'ingénieurs.

Par conséquent, il nous faut élargir le recrutement de nos écoles d’ingénieurs. Et je crois que la dose d’inventivité nécessaire, la capacité d’innover, la capacité de réfléchir hors carcans, elle existe dans nos banlieues.

Ayant grandi en Guadeloupe, je sais combien les études scientifiques sont celles portant le plus grand vecteur d’égalité y compris dans la poursuite d’une carrière professionnelle. La couleur ou le nom de celui qui résout une équation aux dérivées partielles importe bien moins que la prouesse intellectuelle. Le capital social et culturel cher à Bourdieu joue beaucoup moins. Bien sûr, se dresse désormais la barrière de l’anglais dont le niveau exigé est important.

Un étudiant d’une grande école issu d'un quartier populaire me redisait comment les codes lui étaient inconnus à la sortie de la 3ème alors qu’il avait été accepté dans un lycée du centre-ville et qu’il ne partageait ni les chansons, ni les centres d’intérêt de ses camarades issus de quartier plus favorisés. Il me disait également combien il regrettait de ne pas avoir travaillé le français et l’anglais au collège. Malgré cela, il avait réussi à entrer dans une grande école et il y rattrapait désormais tout cela. C’est la raison pour laquelle j'ai la conviction que les collèges doivent avoir pleinement les moyens de se rapprocher des filières d'excellence d'ingénieurs ou de scientifiques. Des expériences existent de tutorat entre des étudiants ingénieurs ou scientifiques vis à vis de collégiens ou lycéens.

Je crois qu’une collectivité telle qu'un Conseil Général peut contribuer à cet effort national vers les sciences. Dès le collège il nous faut construire le triptyque entreprise, grande école, collège.

Cela commence par les stages de 3ème faits dans les entreprises et avec des ouvriers et des ingénieurs de production et de conception. Cela passe par un tutorat d’étudiants qui ensuite ouvre au monde les jeunes esprits dès la 6ème dans nos quartiers populaires.

Parce que nos enfants se battent quotidiennement aux côtés de leurs enseignants, que leur chemin n’est pas tracé dès la maternelle, la science peut avec eux retrouver ses couleurs de la France des Lumières. « Croire au Progrès c’est considérer que le pur négatif n’existe pas, c’est être convaincu que même le négatif porte en lui l’énergie motrice dont émergera le meilleur » dit le physicien Emmanuel Klein.

Oui, je l'affirme, les ouvriers qualifiés, les ingénieurs de production et les scientifiques de la croissance durable, les prix Nobel français de demain viendront de nos banlieues !

 

 

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